Il y a un an, je venais de faire mon dernier voyage jusque chez mes parents.
Il y a un an, ma mère entamait son dernier voyage.
C'était un samedi, comme tous les samedis depuis 3mois, j'arrivais pour le week-end, jusqu'au lundi, pour relayer ma tante et ma soeur, afin qu'il y ait toujours quelqu'un avec maman. Nous savions depuis 3 mois qu'elle était condamnée. Elle avait été hospitalisée en urgence trois mois auparavant donc, on lui avait diagnstiqué un cancer du pancréas, avait subit une opération qui n'a servi à rien, trop de métastases, puis était rentrée à la maison pour y finir ses jours.
Nous avions installé un lit médicalisé à la maison, les infirmières passaient le matin pour les quelques soins, puis nous passions la journée et la nuit à ses côtés, pour l'accompagner.
Ce samedi là, quand je suis arrivée, maman était encore plus diminuée que la semaine précédente, quand je l'ai quittée. Chaque semaine je la trouvais un peu plus affaiblie, amaigrie. Mais là, c'était pire que tout. La nuit avec ma tante ne s'était pas très bien passée, ma tante n'est plus toute jeune non plus, et soigner un malade de cette façon demande un sang-froid inimaginable, il faut résister à la pression, rassurer, soutenir, nourrir, laver, sécher les larmes, ravaler les siennes, gérer les angoisses... Elle avait fini par craquer, et ma mère et sa soeur s'était disputées. Rien de grave, certes, mais j'ai trouvé ma mère anéantie en arrivant. Elle pleurait, paniquait, se plaignait de douleurs terribles.
Je me suis retrouvée seule avec maman, une fois le relais avec ma tante effectué, quelques minutes après mon arrivée. L'ambiance était lourde, la douleur de ma mère ne passait pas, aucun médicament, aucun massage n'en venait à bout. En début de soirée, nous avons fini par appelé le médecin de garde, qui a décelé une ou plusieurs côtes cassées à ma mère. Elle avait juste fait un faux mouvement en se redressant dans son lit le matin, et des côtes se sont cassées, trop attaquées par le cancer qui rongeait tout depuis des mois. Le médecin ne pouvait rien faire à part une piqûre de plus et proposer l'hospitalisation, qu'on a refusée. La nuit est venue lentement, une nuit blanche, d'angoisse, de pleurs, de peurs. Ma mère se réveillait toutes les demie heures, me réclamant à ses côtés. Elle avait une voix de petite fille. Je me rappelle avoir haussé la voix, pour lui dire d'essayer de dormir, de ne pas bouger, ne pas parler. J'étais morte de fatigue, je n'en pouvais plus de ce rythme incessant d'aller-retours chez elle, de cette pression quotidienne, cette attente horrible. Mais je n'avais pas réalisé que la fin était pour cette nuit là. Vers 5h du matin, elle s'est à nouveau réveillée, m'a demandé de prier avec elle, habitude peu commune pour ma mère. J'ai compris je crois à ce moment, et je lui ai demandé si elle voulait qu'on appelle le médecin, notre médecin de famille, et ami de mes parents, celui qui aiderait maman à partir sans douleur, à la fin. Elle m'a répondu oui d'une voix apaisée, presque soulagée. Une heure plus tard, il était là et lui fit sa première piqûre.
A partir de ce dimanche matin, maman a commencé à sombrer petit à petit. Les journées étaient rythmées par les visites du médecin. Elle dormait les 3/4 de la journées, se réveillait lorsque les médicaments ne faisaient plus effet et que la douleur réapparaissait. Toute la famille était là, et on guettait les réveils de maman pour pouvoir lui parler une dernière fois. Ses idées étaients de plus en plus floues. Le lendemain et surlendemain, elle ne pouvait plus échanger que 2 ou 3 mots, parfois sans queue ni tête.
Le 23 au soir, je ne tenais plus. J'avais été là depuis le samedi, j'avais appelé le médecin moi même, j'avais veillé toutes les nuits, j'avais tout assumé presque seule, il était tant pour moi de me reposer, juste un peu. Pour la première fois depuis des nuits, j'allais dormir ailleurs, chez ma soeur, avec ma chérie venue dire au revoir à ma mère. Le 23 au soir, je suis donc allée voir maman, seule. Je lui ai parlé, elle ronflait, ou râlait plutôt. Je préfère me dire qu'elle ronflait, ça me fait sourire, ça a toujours été quelque chose d'impressionnant les ronflements de ma mère! Je lui ai parlé quelques minutes, lui ai expliqué pourquoi je partais, mais qu'elle n'était pas seule, mon frère, mon père et ma tante étaient là pour la nuit, que tout irait bien. Je savais que je lui parlais pour la dernière fois. Je l'ai embrassée sur son front déjà froid. Je lui ai souhaité la plus longue et douce des nuits, je lui ai dit que je l'aimais, et alors qu'elle avait sombré depuis plusieurs heures sans réveil, sans réaction, elle a souri en réponse à mon je t'aime. Je sais qu'elle l'a entendu. Je ne sais pas par quel miracle elle a entendu, mais je connaissais ma mère, je sais que ce sourire là était une réponse, un "moi aussi", et pas une expression hasardeuse due à sa perte de conscience progressive. Non, elle a répondu en souriant.
J'ai eu le dernier échange avec elle. Le 24, à 7h du matin, alors que je dormais chez ma soeur, mon téléphone a sonné. C'était mon frère. Maman venait de partir.
Un an plus tard, je suis allongée sur mon canapé à écrire ses lignes. je suis presque autant fatiguée que l'année dernière. Les jours à venir vont être difficiles, ou peut-être pas. Il n'y a pas besoin de date pour pleurer.
J'aimerais, s'il vous plait, ne pas avoir de commentaire à cet article. Il n'a rien à faire là en fait, mais j'ai besoin d'écrire, besoin que vous lisiez, vous, inconnus virtuels, puisque la plupart de mes proches, famille et amis, ne me demandent rien. C'est ma thérapie. Enfin, une partie. Donc pas de commentaire, pas besoin de pitié, de "je suis désolé", ni de soutien, je n'en ai pas besoin, s'il vous plait. J'ai celui de ma chérie, qui me fait un bien fou, et celui d'une amie à qui je confie beaucoup de mes moments sombres. Ca me suffit.
Bonnes fêtes de fin d'année à vous tous, et profitez de ces heureux moments en famille, ils passent toujours trop vite.